« Qui dira la joie qu’on éprouve à disparaître, à faire faux bond, à se soustraire, à tout laisser derrière soi, et à se fondre dans le paysage ? » Ces lignes de Christian Garcin dans Selon Vincent disent bien la force d’attraction impérieuse et romanesque d’un désir de disparaître. Ce fantasme alimente une veine importante de la fiction française contemporaine, chez Carrère, Echenoz, Modiano, NDiaye, Quignard, Perec ou Puech, dont il faut décrire les modalités contradictoires et variées. Pris entre l’effroi de rester ou de devenir invisible et l’envie de se soustraire à la tyrannie actuelle de la visibilité, les héros de ces œuvres font l’épreuve imaginaire d’une ambivalence. La fiction propose un lieu paradoxal de résistance face à la normalisation sociale, aux dispositifs toujours grandissants de contrôle et d’assignation, une façon de déserter qui puisse exprimer la force encore vitale d’une sécession individuelle. Contre une folie de la trace qui grève le présent par le sentiment de sa mémorisation anticipée, le désir de disparaître repose sur l’effacement, l’oubli. Un acte pur, sans archive ? On se doute que la réponse sera plus ambiguë.
Dominique Rabaté, essayiste et critique, est professeur de littérature française à l’Université Diderot-Paris 7. Membre senior de l’Institut universitaire de France, il dirige la collection « Modernités » aux Presses universitaires de Bordeaux, ainsi que deux collections chez Classiques Garnier. Il a écrit de nombreux livres : sur des Forêts, Quignard, NDiaye, sur le roman et le récit au XXe siècle, ou sur le sujet lyrique. Ses derniers titres parus sont Le Roman et le Sens de la vie et Gestes lyriques, chez Corti en 2010 et 2013, ainsi que le Cahier de l’Herne Blanchot, co-dirigé avec Éric Hoppenot, en 2014.