n° 78 / L’archive littéraire, mémoire de l’invention

Été 2005
Numéro préparé par
Jacinthe Martel
Université du Québec à Montréal

[Version numérique disponible sur Érudit]

Les archives littéraires et les manuscrits d’écrivains constituent des objets d’analyse d’une extraordinaire fécondité, mais qui sont encore fort peu étudiés au Canada et au Québec. Les contributions réunies dans ce numéro sont entièrement consacrées à des archives littéraires québécoises et canadiennes-françaises. Tout en prenant appui sur de solides assises théoriques, qui permettent d’appréhender la nature et la fonction des archives littéraires selon des angles variés, les articles proposent des réflexions fouillées et des analyses minutieuses de divers types de documents provenant de sources et d’époques diverses allant du XVIIIe au XXesiècle : archives romanesques, historiques ou poétiques, correspondance, écrits de soi.


Table des matières

5. Liminaire
Jacinthe Martel

9. Pour une juste mémoire de l’archive canadienne du XVIIIe siècle
Bernard Andrès

21. La mise en fiction de l’invasion américaine de 1775. Sources et modalités
Nathalie Ducharme

45. Henri Brochet et le R.P. Émile Legault, c.s.c. : rencontre et correspondance
Jacques Cotnam

91. Traces et trame d’une littérature dans le siècle : réseaux et archives
Michel Lacroix

111. Gaston Miron ou le laboratoire des écritures du moi (1947-1953)
Marie-Andrée Beaudet

133. Au bras des ombres ou les « archives du vent »
Jacinthe Martel

Compte rendu

151. Hélisenne de Crenne, Les angoisses douloureuses qui procèdent d’amour, édition de Jean-Philippe Beaulieu, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2005
Marilyne Audet

155. Abstracts

158. Notices biobibliographiques

$12.00

N° 78, été 2005

L’archive littéraire, mémoire de l’invention

 

Bernard Andrès
Pour une juste mémoire de l’archive canadienne du XVIIIe siècle

Prenant appui sur les travaux de Pierre Nora, de Jacques Le Goff, de Michel de Certeau, de Paul Ricoeur et de Michel Foucault, cet article évalue les conditions de possibilité d’une histoire littéraire des Canadiens au XVIIIesiècle. Comment, de nos jours, « faire de l’histoire », comment « inventer une littérature » à partir d’un corpushétérogène d’archives manuscrites et imprimées dont les auteurs n’avaient pas toujours conscience de « faire œuvre » ni de passer à la postérité ? Quelle mémoire pouvons-nous opposer aujourd’hui à l’oubli dans lequel l’institution littéraire a longtemps plongé cette production ? De Lahontan à Bailly de Messein, en passant par Charlevoix, Lafitau, Bégon, mais aussi les textes de la Conquête, la richesse et la variété de cette archive justifient-elles vraiment notre entreprise d’exhumation ?

For a sound memory of the eighteenth-century Canadian archive

Supported by the works of Pierre Nora, Jacques Le Goff, Michel de Certeau, Paul Ricoeur and Michel Foucault, this article evaluates the possible conditions for a literary history of eighteenth-century Canadians. How, in our era, do we “make history”, how do we “invent a literature” based on a heterogeneous corpus of handwritten and printed archival materials, whose authors were not always aware they were “creating” or passing on to posterity ? What memory can compensate today for the literary establishment’s neglect of this production ? From Lahontan to Bailly de Messein, by way of Charlevoix, Lafitau, Bégon, and including texts dealing with the Conquest, do the richness and variety of this archive really justify our project to exhume them ?

***

Nathalie Ducharme
La mise en fiction de l’invasion américaine de 1775. Sources et modalités

La mise en fiction de l’invasion américaine de 1775 implique le recours à un important appareil critique pour les auteurs de quatre romans et de trois nouvelles publiés au Canada et aux États-Unis entre 1872 et 1995. Les modalités d’emprunts aux témoignages d’époque et aux travaux d’historiens sont multiples : citation des sources, intertextualité, simulation de documents au service de l’intrigue, etc. En outre, le choix et le traitement des sources témoignent des rapports ambivalents entre Canadiens français et Américains depuis le XIXe siècle.

The fictionalization of the American Invasion of 1775. Sources and Modalities

For the authors of four novels and three short stories published in Canada and the United States between 1872 and 1995, the fictionalization of the American invasion of 1775 involved recourse to a major critical apparatus. There are a wealth of modalities for borrowing from historical evidence and the work of historians — quotes from sources, intertextuality, simulation of documents in service of plot, etc. Furthermore, the choice and treatment of sources testify to the ambivalence that has characterized relations between French Canadians and Americans since the nineteenth century.

***

Jacques Cotnam
Henri Brochet et le R.P. Émile Legault, c.s.c. : rencontre et correspondance

Cet article propose l’édition de 16 lettres qu’échangèrent le R.P. Émile Legault, c.s.c., et Henri Brochet, entre le 31 janvier 1938 et le 4 mai 1946. Ces lettres nous fournissent des renseignements intéressants sur le séjour d’Émile Legault en France, au lendemain de la visite de Henri Ghéon à Montréal, et sur les débuts des Compagnons de Saint-Laurent. Auteur prolifique de pièces de théâtre chrétien, acteur, metteur en scène, directeur des Compagnons de Jeux — dont s’inspirent les Compagnons de Saint-Laurent —, et ami de Henri Ghéon, Henri Brochet était aussi le fondateur de la revue Jeux, Tréteaux et Personnages, dont le premier numéro parut le 15 octobre 1930 et qu’il dirigea jusqu’à la fin.

Henri Brochet and the Reverend Father Émile Legault, CSC : Meeting and Correspondence

This article proposes the edition of 16 letters exchanged between Father Émile Legault, CSC, and Henri Brochet from January 31, 1938 to May 4, 1946. These letters offer interesting details on Émile Legault’s sojourn in France following the visit of Henri Ghéon to Montreal and on the beginnings of the Compagnons de Saint-Laurent. A prolific author of Christian plays, an actor, producer and director of the Compagnons de Jeux — which inspired the Compagnons de Saint-Laurent — and a friend of Henri Ghéon, Henri Brochet was also the founder of the journal Jeux, Tréteaux et Personnages, the first issue of which was published October 15, 1930 and which he edited until his death.

***

Michel Lacroix
Traces et trame d’une littérature dans le siècle : réseaux et archives

Postulant qu’écrire est une activité sociale et intellectuelle tout à la fois, l’auteur plaide pour une approche sociogénétique des archives littéraires basée sur l’étude des réseaux. Une telle perspective pourrait entre autres éclairer les mécanismes par lesquels, du manuscrit à l’imprimé, le texte subit dans son parcours les interventions de multiples intermédiaires. Pour illustrer cette thèse, le cas de la publication des Engagés du grand portage de Léo-Paul Desrosiers chez Gallimard (1938) est analysé à la lumière des échanges entre Desrosiers, Michelle Le Normand, Henri Pourrat et Jean Paulhan.

Traces and Framework of a Literature in the Century : Networks and Archives

Postulating that writing is at once a social and intellectual activity, the author pleads for a sociogenetic approach to literary archives based on the study of networks. A perspective of this kind may, notably, elucidate the mechanisms by which a text undergoes the interventions of a host of intermediaries during its journey from manuscript to printed version. To illustrate this thesis, the case of Gallimard’s publication (1938) of Les engagés du grand portage by Léo-Paul Desrosiers [The Making of Nicolas Montour, 1978] is analyzed in light of the exchanges between Desrosiers, Michelle Le Normand, Henri Pourrat and Jean Paulhan.

***

Marie-Andrée Beaudet
Gaston Miron ou le laboratoire des écritures du moi (1947-1953)

S’inscrivant dans le cadre des recherches que je mène depuis quelques années avec Pierre Nepveu sur l’œuvre et les archives personnelles de Gaston Miron, cet article s’intéresse plus particulièrement aux écrits inédits des années 1947-1953 et aux diverses formes d’écritures du moi (fragments de journal intime, notes, amorces de romans autobiographiques, lettres) qu’ils convoquent. Cette vaste auto-analyse pratiquée par le jeune Miron au seuil de son entrée en littérature révèle l’ampleur de sa dette à l’égard des discours de son temps, notamment celui de La Relève, tout en éclairant les circonstances de cette « débâcle de son écriture » qu’évoquait Miron dans « Parcours et non-parcours ». Matrice première de l’œuvre, ces écritures du moi amorcent la constitution d’une réserve d’écriture que le poète n’aura de cesse d’épuiser et d’enrichir tout au long de sa vie.

Gaston Miron or the laboratory of autobiographical writings 1947-1953

Within the context of the research I have been conducting for some years with Pierre Nepveu on the works and personal archives of Gaston Miron, this article focuses specifically on unpublished writings from the years 1947-1953 and on the various forms of autobiographical writings they include (diary entries, notes, beginnings of autobiographical novels, letters). This broad self-analysis by the young Miron on the threshold of his literary début reveals the scope of his debt to the discourses of his era, notably that of La Relève, while elucidating the circumstances of this débâcle de son écriture [debacle of his writing], which Miron evoked in Parcours et non-parcours [Journey and non-journey]. The first matrix of the work, these autobiographical writings begin the constitution of a reserve of writings that the poet would exhaust and enrich continuously throughout his life.

***

Jacinthe Martel
Au bras des ombres ou « les archives du vent »

Les archives du recueil Au bras des ombres, de Jacques Brault, témoignent des enjeux esthétiques qui sous-tendent l’écriture poétique. L’analyse génétique de quelques poèmes révèle le caractère artisanal du travail qui s’accompagne souvent d’une minutieuse réécriture qui tend notamment à installer une plus grande densité poétique. Par ailleurs, l’assemblage des poèmes et la composition du recueil, qui s’effectuent tardivement, permettent de saisir les principes qui fondent l’harmonie de l’ensemble.

Au bras des ombres or the “archives of the wind”

The archives of the collection Au bras des ombres [On the shadows’arm], by Jacques Brault, testify to the aesthetic issues underlying poetic writings. The genetic analysis of a few poems reveals the artisanal character of the work, which is often accompanied by a meticulous re-writing that tends, notably, to create a greater poetic density. Moreover, the assembly of the poems and the composition of the collection, belatedly accomplished, make it possible to grasp the principles underlying the harmony of the whole.