Musique, journalisme et justice sociale : Paris entre les révolutions (1830-1851)
Mark Everist
L’un des moyens de propagation de la philosophie de Jean-Baptiste Joseph Fourier se fit à travers la publication de deux périodiques : La Phalange, publié de 1836 à 1843, puis La Démocratie pacifique, publié de 1843 à son arrêt au début du Second Empire en novembre 1851. Dès le début, les publications proposèrent non seulement des comptes rendus sur l’actualité des concerts et des événements scéniques, mais aussi des essais plus discursifs sur la musique. À partir de 1838, le critique Allyre Bureau est au cœur de cette activité. Il rédige deux articles par mois pendant la décennie suivante et au-delà. Les textes de ses collègues et les siens dans La Phalange et La Démocratie pacifique rapprochent la musique de la philosophie des fouriéristes. L’article analyse ces rapprochements et le discours social et musical qui se déploie au sein des deux journaux.
Une scène lyrique populaire sur le boulevard du Temple : l’Opéra-National et la presse française (1847-1852)
Olivier Bara
Quel rôle joue la presse lors de l’ouverture de l’Opéra-National, futur Théâtre-Lyrique, sur le boulevard du Temple ? Entre 1847 et 1852, comment réagissent les journaux, généralistes ou spécialisés, face à l’effort de démocratisation que représente la troisième scène lyrique française ? Arrachés au confort des théâtres du centre de Paris, les feuilletonistes et les chroniqueurs couvrent néanmoins l’activité de la nouvelle institution lyrique, accompagnant les différentes phases de sa création. De leurs côtés, les directeurs de ce nouveau théâtre, Adolphe Adam puis Edmond Seveste, recourent massivement à la presse pour légitimer leur entreprise et lui donner toute la publicité nécessaire. Cela n’empêche pas les journaux de développer une réflexion, parfois critique, au sujet de la présence d’une maison d’opéra parmi les spectacles populaires du boulevard du Temple alias boulevard du Crime. En un moment troublé de l’histoire sociale et politique, s’esquisse une réflexion sur le « théâtre populaire », riche d’avenir.
La musique au Mercure de France (1890-1914). Portrait et défis d’un discours interdisciplinaire
Michel Duchesneau et Federico Lazzaro
Cet article propose un panorama de la présence de la musique dans la revue littéraire le Mercure de France alors que le milieu musical français est en ébullition. Dans les pages de la revue, Jean Marnold se fera ainsi le relais du scandale qui a suivi l’échec de Maurice Ravel au Prix de Rome, comme il jouera un rôle déterminant dans l’essor d’une violente polémique entourant la création de la Société musicale indépendante. La musique occupera ainsi un espace important, soit plus de 700 textes entre 1890 et 1914, apportant un éclairage sur la vie musicale et les enjeux qui l’animent à l’époque. Le wagnérisme sera l’un des sujets de prédilection des critiques musicaux de la revue comme en témoigne d’ailleurs l’enquête sur l’influence allemande sur le monde intellectuel français réalisée par la revue en 1902. Mais ce qui est probablement le plus marquant, c’est l’importance du réseau symboliste qui s’établit autour de la revue et qui trouvera sa voie musicale à travers le soutien à un compositeur oublié, Gabriel Fabre, dont la musique fait la délectation des cercles mondains au tournant du XXe siècle. Le Mercure de France est ainsi une source exceptionnelle pour l’étude de la réception de la musique dont le caractère interdisciplinaire en fait toute la richesse.
La critique musicale au féminin sous la Troisième République : Judith Gautier et la critique en contrepoint
Isabelle Perreault
Dans l’optique de poser un jalon dans le chantier de recherche qu’ouvre le corpus de la critique musicale des femmes, c’est à la trajectoire de Judith Gautier que cet article s’intéresse, non pour dégager une manière féminine exemplaire d’écrire la musique, mais pour identifier un ensemble d’indices à partir desquels on pourra envisager cette occurrence singulière au sein d’une histoire de la critique musicale au féminin. Fille de Théophile Gautier, Judith se distingue par sa passion pour les œuvres de Wagner, se qualifiant même de sa « meilleure disciple », jusqu’à devenir l’une de ses plus ferventes défenseures en France. Grâce à la relation avec son père, et afin de s’affranchir de son mariage malheureux avec Catulle Mendès, elle parvient à établir sa légitimité en développant une approche poétique et impressionniste de la critique, approche cependant éclairée par une connaissance intime des œuvres, avec lesquelles ses articles dialoguent à la manière d’un contrepoint. Ce positionnement lui permet non seulement de contourner les frontières de genre dans un champ professionnel masculin, mais aussi de contribuer activement à la réception et à la promotion de l’œuvre wagnérienne en France. L’article entend ainsi proposer une réflexion sur les stratégies d’autonomisation d’une femme critique musicale, et interroger les rapports de genre dans la construction d’une autorité critique au féminin dans une période qui instaure et institutionnalise la fonction de critique musicale au sein du journal.
Les stratégies médiatiques d’Émile Zola et Alfred Bruneau dans la presse
Olivier Sauvage
Ayant fait ses premières armes dans la presse, Émile Zola sut utiliser sa plume de critique pour défendre avec fougue ses conceptions littéraires. Lorsqu’il devint librettiste et collabora avec le musicien Alfred Bruneau, les journaux furent là encore considérés comme une vitrine permettant de diffuser ses vues naturalistes en matière de musique et d’opéra, d’autant que Bruneau était lui-même critique musical. La lecture attentive des textes critiques de l’un et de l’autre renseigne sur les stratégies discursives déployées par eux afin de prendre position dans les débats esthétiques de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. Malgré des différences de ton et quelques spécificités, les deux artistes surent conjuguer leurs efforts pour promouvoir leur théâtre lyrique.
Écouter la musique dans la presse quotidienne. Poétique médiatique et partitions musicales à la fin du XIXe siècle
Guillaume Pinson
Cet article se penche sur la présence de nombreuses partitions musicales publiées dans la presse quotidienne du XIXe siècle français. Issu d’un échantillon de 13 journaux, un corpus de près de 1000 partitions permet de réfléchir à cette présence de « l’écriture » musicale au sein de l’écriture périodique, pour montrer notamment quels rôles et fonctions ces partitions peuvent remplir. L’auteur propose d’y voir une sorte de langage proprement médiatique, qui récupère la pratique ancienne du « petit format » (partitions vendues bon marché depuis le début du siècle) au sein de la quotidienneté, tout en établissant des relations de proximité et d’échanges avec certaines poétiques médiatiques, comme le feuilleton, le récit d’actualité ou encore la chronique populaire.