Maurice Scève entre Mallarmé, les avant-gardes et le baroque
Thomas Hunkeler
Cet article passe en revue trois moments, dont certains anthologiques, qui lisent Scève tour à tour à la lumière de Mallarmé, des avant-gardes et du baroque. Trois moments qui éclairent, chacun à sa façon, ce que lire Scève dans la seconde moitié du XXe siècle a pu vouloir dire, qui mettent en évidence en quoi ce dernier a pu devenir une ressource essentielle dans l’aventure de la pensée littéraire de cette époque. Trois moments qui éclairent aussi, ce faisant, un pan de l’histoire littéraire et éditoriale, laquelle, pour le meilleur et pour le pire, n’est plus tout à fait la nôtre.
André Mage par Pierre Menanteau, « Poètes d’aujourd’hui »
Audrey Duru
L’article interroge l’anthologie de poésie baroque comme format éditorial plastique. En l’occurrence, précédée d’un essai qui évalue les classements des anthologies disponibles en combinaison avec une poétique de l’imaginaire parente de celle de Gaston Bachelard, l’anthologie étudiée ici prétend ne pas conférer une légitimité d’auteur au poète du XVIe siècle André Mage de Fiefmelin. Opération éditoriale entourée d’humilité, possible malgré les lacunes de l’érudition, elle permet au poète Pierre Menanteau de formuler une poétique indirecte et de manifester sa maîtrise du champ poétique par une historiographie d’écrivain. Tandis que le genre du florilège collectif ressurgit dans l’essai critique, l’anthologie annoncée comme baroque obéit davantage à un principe de géopoétique et de poétique des éléments. La poésie baroque est ainsi tenue pour un fait contemporain susceptible d’éclairer le passé : réciproquement, le sens du tragique discerné chez André Mage vient enrichir l’intelligence de la poésie vivante comme discours où ce sens du tragique, rattaché en particulier à la Bible, est combattu. Les prix et la publicité à la parution du volume indiquent son efficace consacrante immédiate pour Pierre Menanteau et, à plus long terme, pour André Mage.
« Soudaines clartés et ombres sanglantes » : Jean Rousset éditeur de La Ceppède
William Barreau
Cet article se propose d’étudier l’édition par Jean Rousset en 1947, chez l’éditeur Guy Lévis Mano (GLM), d’une sélection de sonnets tirés des Théorèmes spirituels. Cette édition est importante pour deux raisons. La première, c’est qu’elle est la première réédition moderne de Jean de La Ceppède. La seconde, c’est qu’elle constitue dans la trajectoire de Jean Rousset un événement qui s’inscrit dans la constitution de sa définition d’un baroque poétique français. Le choix des sonnets, la matérialité du recueil ainsi que la préface signée par Rousset sont autant d’éléments qui témoignent des débuts de la constitution d’un corpus poétique baroquiste. Le geste anthologique traduit également la lecture spécifique qu’il a faite de La Ceppède (dont il édite les Théorèmes en 1966), auteur duquel il a tiré des éléments d’une poétique baroque, en sélectionnant certains sonnets dont les caractéristiques stylistiques ou thématiques l’ont attiré et qu’il a agencés d’une façon qui annonce déjà ses travaux ultérieurs.
Les Œuvres choisies de Théophile de Viau par Jean-Pierre Chauveau ou le parti pris de l’actualisation
Michèle Rosellini
Quand Jean-Pierre Chauveau édite les Œuvres diverses de Théophile de Viau, il adopte un style de présentation de l’anthologie en rupture avec les choix de ses prédécesseurs. Renonçant au classement générique et à la reprise des pièces de circonstance destinées à retracer la carrière courtisane du poète, il organise le parcours chronologique de l’œuvre en fonction des étapes de la « destinée dramatique » de celui-ci (succès, disgrâce, prison, mort), tout en sélectionnant les poésies les plus accessibles à l’émotion immédiate des lecteurs, d’emblée éveillée par le titre pathétique tiré des derniers vers du poète mort à 36 ans : Après m’avoir tant fait mourir. Par ces divers modes d’actualisation, le recueil trouve une place légitime dans la collection « Poésie/Gallimard », vouée principalement à la diffusion des œuvres poétiques contemporaines, françaises et étrangères, et entre en résonance, au début du XXIe siècle, avec l’histoire du siècle précédent marqué par la persécution des artistes et des intellectuels.
Saint-Amant et le « prestige de l’Académie française » :
« poésies baroques » de 1968
Maxime Cartron
L’anthologie intitulée Poésies baroques de Marc-Antoine Girard Sieur de Saint-Amant, parue le 31 décembre 1968 chez Vialetay dans la collection « Prestige de l’Académie française », témoigne d’un effort matériel pour marquer l’accord entre l’objet-livre et la gloire de son origine institutionnelle. L’éditeur et les compilateurs construisent l’œuvre de Saint-Amant en objet de jouissance visuelle, tout en en développant une lecture biographique visant à anéantir ce qu’ils perçoivent comme un danger moral : celui du baroque entendu comme désordre de l’institution.
Spiritualité pour le temps présent. La poésie de Jeanne Marie Guyon selon « Le chant de l’âme » de Marie-Louise Gondal (1995)
Clément Duyck
Cet article veut mettre en lumière la façon dont l’anthologie du « Chant de l’âme » de Marie-Louise Gondal (1995) s’efforce de rendre lisible le corpus poétique de Jeanne Marie Guyon. Après avoir situé le projet de Marie-Louise Gondal dans l’histoire éditoriale de la poésie de Jeanne Guyon, l’article montre comment l’anthologie invente un corpus poétique qui ne concerne pas tant l’histoire du recueil de Jeanne Guyon que les lecteurs contemporains de l’anthologie, auxquels Marie-Louise Gondal souhaite offrir une réponse spirituelle à la « crise » du présent.