La poésie comme une « image ». Emplois et valeurs du mot dans le discours critique des poètes français
Isabelle Chol et Anne Reverseau
Si les réflexions sur l’image ne sont pas nouvelles, qu’elles s’inscrivent dans le champ de la rhétorique, de l’esthétique, mais aussi de la physiologie et de la psychologie qui se sont développées au XIXe siècle, le mot est particulièrement fréquent dans le premier tiers du XXe siècle, marqué par le symbolisme finissant, l’esprit nouveau et les premières avant-gardes. Il prend place au sein de discours qui tentent de réévaluer les « moyens » de la création poétique et, plus largement, d’en définir les contours, notamment au regard des arts visuels. Cet article se propose d’étudier les valeurs et les enjeux du mot « image » dans le discours critique des poètes français, afin d’observer pourquoi et comment différents types d’images sont convoquées comme modèles dans la poésie française de l’entre-deux-guerres. Il s’agira alors d’analyser les glissements entre les valeurs du mot « image », cette dernière étant apte à désigner, dans sa polysémie, les arts visuels et la poésie, et s’avérant, dans ce dernier champ, un moyen spécifique autant qu’une dynamique globale du poème et de la création poétique, alors entendue au-delà de ses frontières linguistiques.
Réfléchir au cinéma : plongée dans le numéro double des Cahiers du mois de 1925
Karine Abadie
Dans les années 1920, alors qu’en France le cinéma devient un divertissement et un mode de représentation de plus en plus populaire, des textes prenant différentes formes sont soumis à des magazines de cinéma, des revues littéraires, ou encore des journaux généralistes. Les écrivains participent au développement de ce discours en proposant des textes de réflexion, à cheval sur l’essai et sur la critique, fortement infléchis par les pratiques et les exigences journalistiques. Notre article s’interrogera sur la nature de ces textes, en examinant le numéro double de la revue Les Cahiers du mois, parus en 1925. Notre lecture nous permettra de repérer des points de croisement tant dans les réflexions que dans les formes et d’examiner les options privilégiées pour soutenir une diversité d’idées au sujet du cinéma.
Le cinéma sous l’œil et la plume du poète surréaliste Robert Desnos
Carole Aurouet
Robert Desnos s’est d’emblée enthousiasmé pour le cinématographe, qui voit le jour cinq ans avant lui, en 1895. Et son engouement est tel que le poète participe à ce jeune moyen d’expression de deux façons. D’une part, il écrit des comptes rendus de films, des analyses d’œuvres de cinéastes et des articles portant sur des problèmes extrinsèques aux films eux-mêmes ; entre 1923 et 1930, il livre ainsi plus de quatre-vingts articles. D’autre part, il est l’auteur d’une vingtaine de textes scénaristiques, dont quatre seulement ont été publiés de son vivant, entre 1925 et 1933. En s’appuyant sur l’analyse de ce corpus cinématographique, cette étude propose de s’interroger sur la manière dont Desnos envisage le cinéma – Que fait ce nouveau moyen d’expression au poète ? Que représente-il pour lui ? Quels sont ses goûts et ses dégoûts cinématographiques ? Quelles réflexions fait-il sur le cinéma ? –, avant d’analyser les textes scénaristiques eux-mêmes – Que fait le poète au cinéma ? Comment essaie-t-il de créer un nouveau langage grâce à lui ? Que deviennent ses promesses cinématographiques à l’épreuve de la réalité ? Ainsi sera-t-il possible d’appréhender corrélativement la circulation des thèmes et des motifs entre deux contextes de production : critique et artistique.
« Nous voilà tous… », un acte de naissance de Raymond Queneau au cinéma
Marie-Claude Cherqui
Ayant assidûment fréquenté les cinémas avec son père, au Havre, durant la Première Guerre mondiale, Raymond Queneau (1903-1976) devient, dès son arrivée à Paris, un spectateur assidu des salles « osscures ». « Nous voilà tous… », court texte surréaliste, publié en 1989 dans la Bibliothèque de la Pléiade parmi nombre de poèmes et de textes inédits, est un éloge poétique du cinéma d’avant l’arrivée du parlant. N’ayant pas encore fait l’objet d’analyses jusqu’à ce jour, celui-ci se présente comme un texte fondateur pour qui s’intéresse à la manifestation du cinéma dans l’œuvre de Raymond Queneau. Ce dernier y revendique le cinématographe comme une découverte majeure, tout en faisant l’inventaire des figures qui constituent son panthéon cinématographique et qui vont nourrir, sous diverses formes et avec de nombreuses variantes, son œuvre romanesque et poétique. Cet article se propose d’explorer comment ces motifs se développent peu à peu, se répètent et évoluent pour constituer un ensemble des plus originaux sur l’expression du cinéma dans la littérature de son temps.
Écrire en images. Le regard de Pierre Bost sur le cinéma de l’entre-deux-guerres
François Ouellet
Écrivain de premier plan et journaliste fécond de l’entre-deux-guerres, Pierre Bost a notamment tenu les chroniques cinématographiques des Annales politiques et littéraires à partir de 1930 (jusqu’à la guerre) et de l’hebdomadaire Vendredi depuis le premier jusqu’à son dernier numéro (novembre 1935 à décembre 1938). Bost a immédiatement été un spectateur et un critique sensible à l’émancipation du médium filmique et à ses qualités intrinsèques. Il s’agit ici de montrer quelle est l’approche de Bost du cinéma, sa conception des films, et sa volonté à en rappeler les caractéristiques qui en font un art parfaitement autonome. Au cœur de cette approche, le traitement des images joue un rôle déterminant.
« On ne m’atteint pas » : Nadja ou l’insaisissable photographie
Frédéric Canovas
Une des raisons pour laquelle Nadja d’André Breton constitue un texte emblématique de la littérature moderne vient du fait que le récit est accompagné de 48 photographies en noir et blanc ponctuant la rencontre entre le narrateur et une jeune femme. De nombreux critiques ont tenté de décrypter le sens de ces photographies et de les faire entrer dans différentes grilles de lecture avec pour objectif de dévoiler certains non-dits du texte. En se basant sur trois articles consacrés à la photographie dans Nadja ces trente dernières années, notre étude propose de démontrer comment toute tentative d’interprétation des photographies est vouée, sinon à l’échec, au moins à la confusion et à l’ambiguïté, et débouche en fait sur plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. En voulant donner à son récit un caractère plus troublant, Breton a aussi brouillé les pistes et créé un système de signification qui lui échappe en grande partie ainsi qu’aux lecteurs. Interpréter les photographies insérées dans Nadja, tenter de les faire entrer dans un réseau plus global, revient pour chaque lecteur et chaque lectrice à projeter ses propres dispositions sur l’écran textuel et visuel du livre au risque d’aboutir à une lecture qui se caractérise davantage par ses aspects subjectifs que par la rigueur scientifique.
Dans le viseur d’un metteur en scène-dramaturge : Jacques Copeau et l’image scénique (Vieux-Colombier, 1919-1924)
Clara Debard
Directeur du Vieux-Colombier à Paris, Jacques Copeau y a mis en scène dix-sept nouvelles pièces françaises entre 1919 et 1924. Selon quels choix visuels ? Archives et manuscrits conservés à la Bibliothèque nationale de France permettent de cerner les créations scéniques du Paquebot Tenacity et de Michel Auclair par Charles Vildrac, de L’œuvre des athlètes par Georges Duhamel, des Plaisirs du hasard par René Benjamin, de Bastos le hardi par Léon Régis et de L’imbécile par Pierre Bost. Si les références au cinéma – jugé inférieur au théâtre par Copeau – sont totalement absentes de ses décors, accessoires et costumes, il construit un savant réseau d’images fixes, peintures et photographies, à l’intérieur de ses spectacles. Avec La maison natale, pour la première fois, Copeau dramaturge associe texte et mise en scène en se donnant le rôle d’un vieillard à moitié fou, métaphorique du créateur, qui, retranché dans une mansarde, au sein d’une famille qui se déchire, manipule un petit théâtre miniature. Par cette création particulière, il illustre sa conviction que les jeux avec les images et les objets offrent un point commun entre les enfants, les acteurs, les dramaturges et les metteurs en scène, créant, dès lors, des liens de complicité essentiels avec le public.