n° 127 / Louis Hémon, pluriel et exemplaire ? Ruptures, succès, oublis

2021
Numéro préparé par Lucie Robert (Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises)

Table des matières

Liminaire
Lucie Robert

Louis Hémon : un écrivain polyvalent
Aurélien Boivin

Jacques Ferron, lecteur de Hémon, lecteur de soi
Betty Bednarski et Susan Margaret Murphy

La classicité de Maria Chapdelaine : un cas d’école ?
Sylvain Brehm

Maria Chapdelaine au cinéma : bonne fortune et mauvais héritage
Germain Lacasse

Eutrope Gagnon contre Louis Hémon. Mythe, folklore et communauté dans Maria Chapdelaine de Sébastien Pilote
David Bélanger et Thomas Carrier-Lafleur

« Il faut venir à la rescousse de Maria Chapdelaine ! » Une histoire du musée Maria‑Chapdelaine/Louis-Hémon
Marie-Ève Riel

Louis Hémon, l’affaire Dreyfus, le sport et la littérature
Geneviève Chovrelat-Péchoux

$12.00

Louis Hémon : un écrivain polyvalent

Aurélien Boivin

Le présent article fait le point sur la trajectoire de Louis Hémon comme écrivain d’une œuvre qu’a occultée en quelque sorte son œuvre maîtresse, Maria Chapdelaine. Cette œuvre sera abordée en quatre étapes qui répondent au titre adopté : le journaliste et le chroniqueur sportif passionné ; le nouvelliste, traducteur de la réalité de son époque ; le romancier entêté et sa vision du monde ; enfin, l’écrivain intimiste, combien énigmatique, à l’image de sa célèbre héroïne.

Jacques Ferron, lecteur de Hémon, lecteur de soi

Betty Bednarski et Susan Margaret Murphy

Cette étude à quatre mains porte sur l’attitude complexe de Jacques Ferron (1921-1985) à l’égard de Louis Hémon, ainsi que sur sa lecture originale et fort personnelle de l’œuvre de ce dernier. Fasciné autant par la vie de Hémon que par son œuvre, éprouvant pour l’homme une profonde affinité, Ferron s’est montré particulièrement sensible à ce qu’il considérait comme la dimension autobiographique de la fiction de l’auteur breton. C’est sur cette association biographique que nous concentrons notre regard, identifiant, dans un premier temps, les éléments qui auraient amené Ferron à se voir dans l’autre écrivain, traçant ensuite, à travers sa correspondance personnelle et ses écrits publics, l’évolution de sa « passion » pour Hémon. Notre réflexion se complète d’une étude de la riche intertextualité hémonienne lisible dans Les roses sauvages (1971), roman où la critique littéraire se mêle à la fiction, et où le projet autobiographique de Ferron se nourrit de sa lecture de la vie et de l’œuvre de Hémon. Notre étude vise à faire mieux connaître cette instance peu étudiée de la réception de Hémon au Québec. Elle offre en même temps de nouvelles pistes d’interprétation de l’œuvre de chacun des deux auteurs.

La classicité de Maria Chapdelaine : un cas d’école ?

Sylvain Brehm

Œuvre majeure de Louis Hémon, Maria Chapdelaine est un classique de la littérature québécoise. Conséquemment, il est aussi un classique scolaire. Or, compte tenu du rôle décisif de l’école comme instance de consécration et de transmission des textes, on peut se demander si, aujourd’hui, Maria Chapdelaine n’est pas un classique québécois parce qu’il est un classique scolaire. Après avoir examiné cette question, nous proposerons deux pistes d’analyse permettant de mener une lecture actualisante de cette œuvre en contexte scolaire et de montrer que sa classicité tient à sa résonance dans la culture contemporaine.

Maria Chapdelaine au cinéma : bonne fortune et mauvais héritage

Germain Lacasse

Le roman de Louis Hémon a été adapté plusieurs fois au cinéma, par la fiction ou le documentaire, par les Français, les Anglais, les Québécois, ou tous ensemble. L’article décrit ces adaptations et leur appréciation critique, lors de leur parution et dans la suite de leur histoire. L’auteur décrit et distingue le film de Julien Duvivier, celui de Marc Allégret, et ceux de Gilles Carle à qui il attribue la meilleure adaptation, qu’il n’associe pas au film et à la série télévisée de 1983, mais plutôt au film de 1973, La mort d’un bûcheron. Ce film n’adopte que quelques-uns des éléments du roman (les noms des personnages, le rapport entre la fille et son père, entre eux et la nature, etc.), mais les transpose dans un scénario décolonisant où Maria brise la tradition en exposant les violences sociales camouflées que comportait la société canadienne-française. Cette approche révisionniste semble avoir été historiquement plus pertinente, puisque ce film demeure le plus apprécié par la critique et les historiens.

Eutrope Gagnon contre Louis Hémon. Mythe, folklore et communauté dans Maria Chapdelaine de Sébastien Pilote

David Bélanger et Thomas Carrier-Lafleur

Cet article propose une lecture de la plus récente adaptation de Maria Chapdelaine au cinéma (2021), par le réalisateur québécois Sébastien Pilote (Le vendeur, 2011 ; Le démantèlement, 2013 ; La disparition des lucioles, 2018). Cette nouvelle transposition écranique est replacée dans le continuum des précédentes adaptations du roman (par Julien Duvivier en 1934, Marc Allégret en 1950 et Gilles Carle en 1983), face auxquelles Pilote choisit d’effectuer plusieurs pas de côté. Il est démontré que le projet du cinéaste peut et doit se comprendre comme une tentative de défolklorisation du texte de Hémon – geste également revendiqué par Carle, mais dans un sens bien différent –, autour duquel se sont depuis longtemps construits un mythe et une imagerie. Cette relecture à contre-courant d’une œuvre et de son héritage par un média contemporain, qui sera menée ici dans le sillage de l’anthropologie littéraire, souligne les tensions narratives et éthiques du récit, de même que le rôle qu’y occupent les personnages, à commencer par celui, historiquement malmené par le septième art, d’Eutrope Gagnon, « héros » aussi inattendu qu’indéniable du film de Pilote.

« Il faut venir à la rescousse de Maria Chapdelaine ! » Une histoire du musée Maria-Chapdelaine/Louis-Hémon

Marie-Ève Riel

En 1973, s’adressant à la Commission des biens culturels du Québec, le propriétaire des Aménagements Maria-Chapdelaine demande la reconnaissance du lieu où vécut Maria Chapdelaine, connue internationalement par le roman de Louis Hémon. L’histoire du Musée Maria-Chapdelaine à Péribonka soulève au moins deux questions : celle, d’abord, de l’identification problématique à l’héroïne, négociée différemment selon les agents, et en particulier par les habitants du pays qui, l’adulant ou la reniant, se trouvent à défendre leur propre identité. Celle, ensuite, de l’évolution des critères de valorisation associés à l’œuvre-phare de Hémon, soumise, comme les autres, à des pressions aussi bien économiques, politiques, que littéraires, voire personnelles. Plus largement, soixante-quinze ans après l’inauguration officielle du Musée Maria-Chapdelaine, que nous dit son histoire sur le champ littéraire dans lequel s’inscrit le roman ?

Louis Hémon, l’affaire Dreyfus, le sport et la littérature

Geneviève Chovrelat-Péchoux

En abordant deux nouvelles publiées par Louis Hémon, qui eut vingt ans pendant la période agitée de l’affaire Dreyfus, je montrerai comment l’écriture est fondatrice de sa conception radicale de la liberté et porte l’héritage militant de Zola. Car, marqué par cette affaire au tout début de sa carrière, Hémon prend ses distances par rapport à sa famille et, sans rompre avec elle, s’en éloigne géographiquement. De même, il se tient loin des salons littéraires parisiens et de leurs codes. Ayant conquis la liberté nécessaire pour écrire, l’auteur engage sa plume au service des laissés-pour-compte, ce qui ne l’empêche pas de voir aussi toutes leurs failles et leurs travers.