n° 123 / Huronie représentée : mythologies et appropriations

2020
Numéro préparé par Maxime Prévost (Université d’Ottawa) et Luc Vaillancourt (Université du Québec à Chicoutimi)

Table des matières

Liminaire
Maxime Prévost et Luc Vaillancourt

« Quand je sçauray parler Huron » : l’ambition linguistique des Jésuites
Luc Vaillancourt

Des débats sur la religion en Huronie. Quand les évangélisateurs Gabriel Sagard et Jean de Brébeuf entrent en scène
Marie-Christine Pioffet

Discours d’en haut et discours d’en bas. Représentations de l’altérité autochtone et lieux communs revisités
Dominique Deslandres

Le sociogramme de l’« Indien » chez James Fenimore Cooper et Jules Verne
Maxime Prévost

Louis Simonin, ingénieur mineur et expert de la « race rouge »
Aldo Trucchio

$12.00

« Quand je sçauray parler Huron » : l’ambition linguistique des Jésuites

Luc Vaillancourt

Lorsqu’ils débarquent en Nouvelle-France, avec pour ambition de convertir les « sauvages », les missionnaires se heurtent d’emblée à l’altérité radicale des langues en usage à travers le territoire, mais ils ont tôt fait de remarquer la prédilection des Amérindiens pour la parole figurée, et ils en déduisent que, pour les rallier à leur foi, il faudra d’abord maîtriser leur langage. On pressent alors que l’entreprise de conversion ne dépend pas uniquement de l’apprentissage des langues, mais aussi, et peut-être surtout, de la capacité des Jésuites à assimiler les codes et les usages de l’éloquence autochtone. Or, ont-ils vraiment appris le huron ou l’ont-ils fantasmé ? Cet article s’emploie à identifier les facteurs de résistance qui ont réduit l’ambition linguistique des Jésuites à l’utopie.

Des débats sur la religion en Huronie. Quand les évangélisateurs Gabriel Sagard et Jean de Brébeuf entrent en scène

Marie-Christine Pioffet

Le présent article étudie les affrontements théologiques dans l’Histoire du Canada de Gabriel Sagard publiée en 1636 et les deux Relations du pays des Hurons de 1635 et 1636 de Jean de Brébeuf. Il montre que, dans ces conversations, les deux missionnaires tentent de neutraliser ceux qui résistent à leur enseignement en ridiculisant les croyances et les réparties de leurs interlocuteurs hurons. Ces entretiens, d’évidence orientés afin de donner l’avantage aux Européens, constituent un moyen pour ces religieux d’obtenir à peu de frais une consécration missionnaire.

Discours d’en haut et discours d’en bas. Représentations de l’altérité autochtone et lieux communs revisités

Dominique Deslandres

Afin d’étudier les représentations françaises de la Huronie et des Hurons dans les textes anciens, je souligne d’abord l’envers de la construction discursive jésuite, grâce à l’analyse de « la vision de l’intérieur » offerte par l’abondante correspondance de Marie de  l’Incarnation, la fondatrice des Ursulines de Québec. Puis, afin d’éviter les pièges de l’hétérohistoire, je change de perspective et, en confrontant la parole d’en bas à celle d’en haut, je tente de reconsidérer les lieux communs du complexe discursif et imaginaire qui perpétuent les divisions.

Le sociogramme de l’« Indien » chez James Fenimore Cooper et Jules Verne

Maxime Prévost

Cette étude repose sur l’hypothèse voulant que l’œuvre romanesque de James Fenimore Cooper constitue la matrice fondamentale de l’imaginaire transatlantique des Premières Nations. Le roman Le dernier des Mohicans (1826), en particulier, aurait joué un rôle déterminant dans la synthèse et la diffusion de mythes informant la conception euroaméricaine des populations autochtones. L’œuvre de Cooper présente ainsi ce que la sociocritique appellerait un « sociogramme de l’“Indien” » : différentes réalités ethnologiques y sont représentées de manière contrastée, c’est-à-dire tantôt de manière négative, tantôt de manière positive, de sorte que les Leatherstocking Tales, pas plus que le roman Famille-sans-nom (dans lequel Jules Verne adapte et infléchit certains éléments des romans de Cooper pour créer une image fantasmatique de la Huronie), ne permettent une lecture univoque. La matrice essentielle de ce que Georges E. Sioui appelle « la vision linéaire eurogène » s’y trouve néanmoins.

Louis Simonin, ingénieur mineur et expert de la « race rouge »

Aldo Trucchio

Louis Laurent Simonin (1830-1886) est un ingénieur mineur marseillais connu aussi bien des scientifiques de son époque que du grand public grâce à ses récits de voyage et ses reportages sur les mines du monde entier. Il est également membre de la Société d’anthropologie de Paris et l’un de ses récits de voyage est cité par Louis Figuier, le vulgarisateur le plus lu de l’époque, dans le contexte d’une comparaison entre la « race rouge » et les hommes préhistoriques. L’analyse de ce passage sera l’occasion de repenser les sciences de l’homme au moment de leur constitution et, plus précisément, d’identifier le réseau de savoirs et de pouvoirs dans lequel le racisme et le colonialisme se montrent comme constitutifs du discours scientifique moderne sur l’homme.