n° 121 / Questions d’auctorialité sur les scènes contemporaines

2019
Numéro préparé par Pauline Bouchet (Université Grenoble-Alpes)

Table des matières

Liminaire
Pauline Bouchet

Auctorialités théâtrales : un chantier du GRIET XIX-XXI
Benoît Barut, Catherine Brun et Élisabeth Le Corre

Les conditions et les modes d’exercice du métier d’auteur dramatique en France
Antoine Doré

Le metteur en scène et les autres ou de la difficulté du partage de l’auctorialité dans le théâtre public français
Bérénice Hamidi-Kim

Les auteurs dramatiques anglais contemporains à l’épreuve des pratiques collaboratives
Séverine Ruset

Le partage de l’auctorialité avec le spectateur dans le théâtre québécois contemporain au temps du numérique
Hervé Guay

Auctorialité en partage : réappropriation de la pop culture chez Olivier Choinière et le Wooster Group
Maude B. Lafrance

De l’artiste à l’auteur : processus de légitimation du cirque comme art de création en France
Marion Guyez

$12.00

Auctorialités théâtrales : un chantier du GRIET XIX-XXI

Catherine Brun, Benoît Barut, Élisabeth Le Corre

Parce que le théâtre est un art nécessairement collectif à quelque degré, son auctorialité doit être pensée au pluriel. Le passage du texte à la scène, lorsqu’il existe, engage un partage d’auctorialité : metteur en scène, acteurs, décorateurs, costumiers, techniciens, éclairagistes, ingénieurs du son, spectateurs parfois… entrent dans la danse créatrice. En outre, chacun des « temps » du théâtre — celui de l(a ré)écriture, de soi ou des autres, sur la page ou sur le plateau ; de la création ; de la diffusion, scénique ou éditoriale — engage parfois, pour un seul et même signataire et pour une même création, plusieurs auteurs. Pour circonscrire cette auctorialité polymorphe, les intervenants du GRIET ont mis au jour des cadres et des tendances examinés ici au prisme de deux mouvements contraires : en plongée, comme une autorité écrasante, venue d’en haut, mais contrariée ; en contre-plongée : comme une coopération horizontale, d’où émerge souvent une figure dominante.

Les conditions et les modes d’exercice du métier d’auteur dramatique en France

Antoine Doré

Les auteurs dramatiques français bénéficient de la plus ancienne législation au monde sur les droits d’auteur, qui leur assure des droits moraux forts sur leurs œuvres et leur permet de recevoir des revenus pour l’exploitation scénique ou éditoriale de leurs textes. Cependant, leur mode de rémunération spécifique, les droits d’auteur, sont structurellement faibles et irréguliers. Dès lors, les auteurs dramatiques sont amenés à être polyvalents et à diversifier leurs activités, pour les uns à l’intérieur de la sphère de l’écriture créative, pour d’autres au sein du champ théâtral, pour d’autres encore en dehors du secteur artistique. Trois grands modèles d’exercice de la fonction d’auteur, correspondant à des modes distincts de rémunération, de légitimation et de relation à la production scénique, peuvent être identifiés : les « auteurs de commande », les « auteurs-metteurs en scène » et les « auteurs de projets libres ».

Le metteur en scène et les autres ou la difficulté du partage de l’auctorialité dans le théâtre public français

Bérénice Hamidi-Kim

Cet article vise à élucider tout à la fois les causes et les conséquences d’un paradoxe caractéristique du monde du spectacle vivant subventionné en France : alors que les œuvres scéniques ont pour particularité, par rapport à d’autres mondes de l’art, de reposer sur le travail collectif d’une grande diversité de corps de métiers, artistiques et techniques, la reconnaissance, tant symbolique qu’économique, est pour l’essentiel captée par la figure, souvent individuelle, du metteur en scène, et ce processus de captation passe principalement par la transfiguration de la figure du metteur en scène en auteur du spectacle.

Les auteurs dramatiques anglais contemporains à l’épreuve des pratiques collaboratives

Séverine Ruset

Bien que la figure de l’auteur demeure investie d’une forte autorité dans le théâtre anglais contemporain, qui accorde traditionnellement une place de choix aux nouvelles écritures dramatiques, elle se trouve ébranlée depuis le début du XXIe siècle par un accroissement notable des pratiques collaboratives. Fondé sur une analyse des discours des dramaturges sur leur rôle (tel qu’il leur échoit mais aussi tel qu’ils le revendiquent), l’article examine comment ces évolutions influent sur le statut des auteurs au sein du monde du théâtre anglais, ou plus précisément sur le système de reconnaissance et de valorisation dans lequel ils s’inscrivent et dont ils contribuent à refaçonner les contours par leurs prises de position. Il s’intéresse notamment au développement d’une posture collaborative, particulièrement manifeste dans la volonté, exprimée par un nombre croissant d’auteurs, sinon de se démettre de leur autorité, du moins de la partager davantage, non seulement avec leurs collaborateurs artistiques, mais également avec les spectateurs.

Le partage de l’auctorialité avec le spectateur dans le théâtre québécois contemporain au temps du numérique

Hervé Guay

Cette réflexion sur le partage de l’auctorialité avec le spectateur dans les arts de la scène au temps du numérique prend appui sur deux productions québécoises, Le 6e salon international du théâtre contemporain (2005) et Pôle Sud (2016). En examinant l’attribution de la signature dans le paratexte, la présence ou l’absence sur scène des auteurs possibles du spectacle, l’espace matériel et relationnel qui structure les échanges ainsi que les implications esthétiques et éthiques de la configuration auctoriale, il s’agit d’attirer l’attention sur certains changements que l’on peut observer dans la distribution de l’autorité à l’intérieur du théâtre québécois contemporain, tant au sein du processus créateur que de la performance.

Auctorialité en partage : réappropriation de la pop culture chez Olivier Choinière et le Wooster Group

Maude B. Lafrance

Cet article se penchera sur la manière dont Olivier Choinière (Québec) et le Wooster Group (États-Unis) font usage de la pop culture dans leurs spectacles pour concevoir des assemblages singuliers, leur posture de créateurs glisse vers celle d’agenceurs d’objets culturels hétéroclites. La notion d’auctorialité se brouille, car elle se trouve télescopée entre le geste d’instauration de l’œuvre scénique, et celui qui renvoie à la multiplication de citations des références pop — elles-mêmes mettant à mal l’attribution à un auteur unique. Leur posture s’apparente alors à celle du prosumer, conjuguant les gestes de production et de réception des objets esthétiques. Les valeurs d’originalité et d’authenticité de leurs voix de créateurs se décèlent alors dans les mouvements de sélection et de recadrage.

De l’artiste à l’auteur : processus de légitimation du cirque comme art de création en France

Marion Guyez

Cet article propose d’étudier la notion d’auteur dans le contexte circassien français des années 2010 où elle reste controversée et floue malgré un usage de plus en plus courant. Il s’agira notamment de comprendre comment, dans un mouvement d’attraction et de répulsion envers les modèles littéraires et dramatiques, l’identification et la reconnaissance de l’auctorialité des formes scéniques de cet art du corps contribuent à renforcer la légitimité du cirque comme art de création et non pas seulement comme art du divertissement. Après avoir étudié les dimensions visuelle, sensible et physique des écritures scéniques circassiennes proches des esthétiques des scènes postdramatiques, nous détaillerons les formes que prennent les écrits (dossiers, notes, croquis, traces, etc.) produits par les circassien·ne·s.