n° 119 / « Fille-s » dans l’imaginaire littéraire au Québec (1980-2015)

2019
Numéro préparé par Eftihia Mihelakis (Université de Brandon)

Table des matières

Liminaire
Eftihia Mihelakis

Au-delà de la fuite : l’afroféminisme face à la violence raciale et sexuelle
Nathalie Batraville

La solidité des filles chez Naomi Fontaine
Joëlle Papillon

À la croisée des chemins et des oppressions : la figure de la jeune fille latino-américaine dans deux romans québécois
Karine Rosso

Prédation, virginité et mauvaise foi chez France Théoret
Eftihia Mihelakis

Filles mauves de l’Amérique
Ania Wroblewski

La constellation des filles : du script romantique à la communauté solidaire dans Le goudron et les plumes d’Hélène Monette
Catherine Dussault Frenette

$12.00

Au-delà de la fuite : l’afroféminisme face à la violence raciale et sexuelle

Nathalie Batraville

À travers une analyse de Cru (2014) de Néfertari Bélizaire et d’Amour, colère et folie (1968) de Marie Vieux-Chauvet, je mets en évidence que le viol et l’inceste constituent à la fois les conséquences et les manifestations concrètes de l’imbrication de l’exploitation, de l’aliénation et du (néo)colonialisme. Bélizaire raconte dans Cru, dans une longue apostrophe adressée à son oncle et tyran, le récit autobiographique des tourments qu’il lui a infligés pendant de nombreuses années. Née en Haïti en 1962, l’auteure et actrice est morte le 19 février 2017 au Québec, où elle avait vécu la majeure partie de sa vie. C’est en 2014, dans une maison d’édition montréalaise, qu’elle a publié cet ouvrage, son unique œuvre. La richesse et la précision de son analyse dans ce texte mis en parallèle avec celui d’Amour, colère et folie, nous permettent d’étudier les fondements de la violence sexuelle et de la racialisation comme outils de domination.

La solidité des filles chez Naomi Fontaine

Joëlle Papillon

Cet article analyse la représentation des filles dans Kuessipan (2011) et Manikanetish (2017) de l’écrivaine innue Naomi Fontaine. Au cœur des deux romans se dressent des personnages de filles solides qui incitent le lectorat non autochtone à remettre en question la perception stéréotypée des filles autochtones en tant que personnes en détresse qu’il faut sauver. Chez Fontaine, les filles innues — et particulièrement les jeunes mères — sont présentées comme des créatrices de communautés, les gardiennes de l’avenir de la nation.

À la croisée des chemins et des oppressions : la figure de la jeune fille latino-américaine dans deux romans québécois

Karine Rosso

Cet article propose d’observer, dans deux fictions québécoises, la représentation des personnages d’origine latine, particulièrement celle de la jeune fille latino-américaine, car cette dernière — trop peu étudiée — se situe au confluent des rapports de genre et de race, lesquels divisent particulièrement, avec les rapports de classe, l’ensemble du continent. À travers l’analyse de Soudain le Minotaure (2002) de Marie-Hélène Poitras, et de Quelque part en Amérique (2012) d’Alain Beaulieu, je cherche à évaluer si ces figures sont empreintes de préjugés et correspondent à certains mythes historiquement associés à la représentation de la « señorita ».

Prédation, virginité et mauvaise foi chez France Théoret

Eftihia Mihelakis

L’attention portée à la prédation est sûrement l’une des constantes les plus visibles de l’œuvre protéiforme de France Théoret, mais à propos de laquelle il y a eu très peu d’études. La prédation prend la forme spécifique, dans Va et nous venge (2015), de la mauvaise foi, un repli de la pensée. Dans cet article, je m’attarde à cette idée que la mauvaise foi génère une violence qui entend éradiquer toute forme de différence, puisqu’elle est toujours à la recherche de l’homogénéité et de la complaisance. Mais, pour Théoret, écrire sur la mauvaise foi c’est aussi donner à lire le pouvoir fragile, ambivalent, de l’adolescence au féminin quand cette dernière s’érige au nom de la défloration.

Filles mauves de l’Amérique

Ania Wroblewski

Cet article se penche sur les trajets américains de Mélanie Kerouac et d’Amy Duchesnay, les héroïnes adolescentes au cœur des romans Le désert mauve (1987) de Nicole Brossard et Le ciel de Bay City (2008) de Catherine Mavrikakis. Par l’analyse de la représentation, dans les deux romans, du voyage en automobile et par l’étude de l’imaginaire du feu, de l’explosion et de la consommation/consumation qu’explorent les écrivaines, cet article pense ensemble, ou du moins, l’une à côté de l’autre, les abstractions théoriques « l’Amérique » et « la jeune fille » afin d’en déceler le pouvoir critique et transformateur.

La constellation des filles : du script romantique à la communauté solidaire dans Le goudron et les plumes d’Hélène Monette

Catherine Dussault Frenette

La figure de la fille en tant qu’amie a, jusqu’à tout récemment, été peu abordée par les études littéraires. Cet article propose une réflexion sur les amitiés entre filles, telles qu’elles sont dépeintes dans le premier roman d’Hélène Monette, Le goudron et les plumes, paru en 1993. En faisant s’entrecroiser les voix de deux narratrices autrefois amies, l’écrivaine retrace la généalogie de cette amitié brisée, tout en levant le voile sur le système qui, en amont, entraîne les filles à se positionner comme rivales. L’analyse présentée s’attarde tout d’abord à relever la critique qu’adresse l’œuvre au script romantique hétéronormatif, qui repose sur l’élection, par un homme, d’une seule fille du groupe, entraînant ainsi la désolidarisation de celles qui le composent. Sont ensuite exposées les diverses voies de sortie dessinées par Monette, hors des schémas patriarcaux, qui valorisent les relations hétérosexuelles exclusives au détriment des amitiés féminines, et vers une nouvelle économie des relations entre filles, fondées sur une reconnaissance réciproque, dont les termes sont définis au sein même du groupe des semblables. La lecture présentée suggère que l’investissement de ce pouvoir passe avant tout par l’élaboration d’un nouveau symbolisme au féminin, représenté, dans l’œuvre, par la métaphore de la constellation.