Portraits littéraires et généricité
Dominique Maingueneau
Cet article étudie les collections à visée commerciale, en particulier « Écrivains de toujours » et « Poètes d’aujourd’hui », du point de vue de la généricité. En s’appuyant sur une typologie des genres de discours, il s’attache à montrer pourquoi les textes qu’on y publie ne peuvent qu’être très divers ; leur seule contrainte est de se tenir à distance de deux frontières : celles qui les séparent, d’une part, des ouvrages scolaires et, d’autre part, de la littérature. Corrélativement, leurs auteurs ne sont pas, en règle générale, des écrivains de premier plan et ne doivent pas se présenter comme des enseignants, mais plutôt comme des « connaisseurs » de la littérature. La comparaison avec le genre des « souvenirs littéraires », qui est alors en voie d’extinction, est à cet égard éclairante. Cette double instabilité, celle du genre et celle du statut des auteurs, se manifeste à travers l’écriture de ces livres, qui montrent un ethos de « lettré » ; en témoigne l’étude d’un passage du Pascal (« Écrivains de toujours ») d’Albert Béguin, auteur très représentatif de l’esprit de la collection concernée.
Image d’auteur entre unicité et sérialité : la collection « Écrivains de toujours » dans les années 1950
Ruth Amossy
Cet article analyse « l’image d’auteur » dans une perspective générique et sérielle telle qu’elle se construit dans la collection « Écrivains de toujours » lors de la première décennie de son existence (les années 1950). On y dégage le profil global de l’auteur des livres « X par lui-même » en montrant comment ce dernier donne son assise à la collection. Il s’agit ainsi à la fois d’explorer la régulation d’un genre de discours et de contribuer à l’étude de l’image d’auteur dans son rapport à l’ethos discursif.
La littérarité d’une collection iconobiographique. Les « Albums de la Pléiade » (Gallimard)
Marcela Scibiorska
Les « Albums de la Pléiade », collection destinée à promouvoir la célèbre « Bibliothèque de la Pléiade » de Gallimard, présentent une série de volumes dédiés à la vie d’écrivains précédemment publiés par la Pléiade qui s’appuient sur une riche iconographie, accompagnée d’un texte biographique. Pourtant, dans de nombreux textes introducteurs des « Albums », leurs auteurs vont à l’encontre de l’attente lectoriale et réfutent explicitement l’appartenance de leurs ouvrages au genre biographique. Cet article examine les raisons d’un tel rejet de la biographie au sein de la collection, en tenant compte de la position de la biographie en tant que genre largement marginalisé au sein du champ littéraire, ainsi que de son rapport à l’iconographie, revendiquée comme élément central de la composition générique des « Albums de la Pléiade ».
« Poètes d’aujourd’hui » (1944-2007) : collection d’anthologies, collection-anthologie
Mathilde Labbé
Chaque volume de la collection « Poètes d’aujourd’hui », créée en 1944 par Pierre Seghers, comprend, de manière systématique, un essai critique et biographique, un choix de textes ou une anthologie, une biographie ou chronologie, une bibliographie des œuvres de l’auteur et des études dont elles font l’objet et, enfin, un ensemble d’illustrations. Parmi les genres critiques en présence, l’anthologie (ou choix de textes) apparaît comme un élément d’autant plus difficile à saisir qu’elle met en abyme le fonctionnement de la collection de monographies au sein de laquelle elle est composée. Se pencher sur la nature et les fonctions de ce genre critique dans la collection « Poètes d’aujourd’hui » des éditions Seghers, c’est en effet en même temps s’interroger sur les objectifs de la collection elle-même. Cependant, alors que le genre biographique est régulièrement mis en question et rejeté dans l’essai critique, le genre anthologique n’est que très rarement discuté par les auteurs des volumes. Pourquoi ce silence ? Quel est le rôle qui est explicitement donné à l’anthologie, quel est celui qu’elle joue implicitement ? S’il est évident que l’anthologie est au cœur du projet éditorial de la collection, on peut s’étonner du positionnement a-critique de l’éditeur et des auteurs dans cette section des ouvrages ; on ne peut en comprendre le fonctionnement qu’en interrogeant la dimension anthologique de la collection elle-même.
(Auto)portraits de l’écrivain en vis-à-vis II. L’entretien dans les collections « Qui êtes-vous ? » (La Manufacture) et « Les contemporains » (Le Seuil)
David Martens
Les collections de monographies illustrées connaissent, durant les années 1980, une inflexion notable en France. Elle se traduit par la création de deux nouvelles séries, caractérisées par une focalisation plus prononcée sur les écrivains contemporains : « Qui êtes-vous ? » (La Manufacture, 1985) et « Les contemporains » (Le Seuil, 1988). D’un point de vue générique, l’une des spécificités les plus marquantes de ces deux séries réside dans l’intégration d’entretiens avec l’écrivain présenté. Prolongeant une précédente étude sur ces deux collections, le présent article s’interroge sur les fonctions assignées aux entretiens dans l’économie discursive de ces ouvrages et sur la façon dont leur usage tend à les rapprocher de l’espace discursif de l’œuvre incarné par l’écrivain.
Portraits d’écrivains en séries. La généricité composite des monographies illustrées de poche
David Martens
Les ouvrages publiés dans les collections de monographies illustrées reprennent et adaptent la formule initiée par « Poètes d’aujourd’hui », rapidement reprise par « Écrivains de toujours », et consistant à agencer un essai critique, un choix de textes et des images. Partant de certains documents d’archives qui témoignent d’une forme d’incertitude quant au genre dont relèveraient ces ouvrages, cet article s’interroge sur la généricité particulière de ces agencements de textes et d’images ressortant de genres distincts. S’ils diffèrent, sur un plan formel aussi bien que s’agissant des modalités du façonnement de l’image de l’auteur auquel ils contribuent, les textes mis en œuvre participent d’une entreprise portraiturale qui régit en sous-main les volumes de ces collections de même que leur constitution globale.