N° 93, été 2010
La majesté de la parole sous le règne de Henri III
Pascal Bastien
Les deux voix du roi. Notes pour une nouvelle écoute de la parole souveraine de Henri III
L’histoire de la voix a longtemps été considérée comme une entreprise impossible : fugitive par définition, elle serait un « faux bel objet d’histoire » en l’absence de sources pour l’écouter. La parole royale dispose cependant d’un certain nombre de sources et il devient possible d’en restituer les traces dans le cadre spatial et rituel où elle s’est exprimée. Une étude sur Henri III orateur ne peut faire l’économie d’une réflexion sur la matérialité de la parole, sur la théologie politique de la voix du roi, sur le caractère juridique de la voix souveraine et sur la position de cette parole dans l’espace où elle se fait entendre.
The two voices of the king. Notes for newly listening to the sovereign speech of Henri III
The history of the voice has long been viewed as an impossible undertaking : by definition fleeting in nature, it would seem to be a « faux bel objet d’histoire » (a beautiful object of history that is false) in the absence of sources for listening to it. Royal speech, however, has a certain number of sources, and it becomes possible to recreate their traces within the spatial and ritual framework in which it was expressed. A study of Henri III, orator, cannot forgo a reflection on the materiality of speech, the political theology of the king’s voice, the judicial character of the sovereign voice and the position of this speech in the space where it is heard.
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John Nassichuk
Léger Duchesne, orateur royal
Cette étude examine le premier des deux discours prononcés par Léger Duchesne in auditorio regio, qui furent imprimés et transmis à la postérité. Lecteur royal de rhétorique et de lettres latines, Duchesne prononça en janvier 1580 une oraison dans laquelle il loue les rois Valois créateurs et protecteurs du Collège des lecteurs royaux (actuel Collège de France). Il remémore ses propres expériences de jeune étudiant à l’époque de Louis XII et de François Ier, afin de souligner la grandeur de l’institution qui constitue l’une des gloires durables du royaume de France. Duchesne apostrophe successivement, selon l’ordre chronologique, chacun des rois Valois à l’exception de Henri II. Son éloquence épidictique fait montre d’une riche culture latine, comme en témoignent les échos de Virgile, Quintilien, Cicéron et Horace que l’orateur rencontra pour la première fois lorsque, jeune homme, il fréquenta les cours des lecteurs. Ainsi ce double éloge, de la lignée royale des Valois et de l’institution des lecteurs royaux, se construit-il sur un récit « autobiographique » qui culmine par l’éloge de Henri III, maître de l’Académie du Palais.
Léger Duchesne, royal orator
This study examines the first of the two discourses pronounced by Léger Duchesne in auditorio regio, which have been printed and transmitted to posterity. A royal reader of rhetoric and Latin letters, Duchesne delivered an oration in January 1580 during which he praised the Valois kings as the creators and protectors of the College of Royal Readers (now the Collège de France). He drew on his own experiences as a young student during the time of Louis XII and Francis I in order to underscore the greatness of the institution that constitutes one of the chief glories of France. Duchesne pointedly addressed, successively and in chronological order, each of the Valois kings with the exception of Henri II. His epideictic eloquence revealed a rich Latin culture, testified by the echoes of Virgil, Quintilian, Cicero and Horace, whom the orator encountered for the first time when, as a young man, he attended the courses of the readers. Thus, this dual eulogy of the royal lineage of the Valois and of the institution of royal readers was based on an « autobiographical » account that culminated with a eulogy of Henri III, master of the Palace Academy.
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Guy Poirier
L’impuissante éloquence
Cet article s’appuie sur l’opinion d’historiens modernes et sur les descriptions de l’éloquence royale transmises par les contemporains du roi Henri III afin de démontrer qu’il est possible d’expliquer pourquoi le dernier roi de la Renaissance n’est pas parvenu à renverser la puissante rhétorique de la Ligue. Il analyse également les raisons qui ont empêché l’utilisation du modèle de Louis XI, transmis par Commynes, proposé à Henri III et représentatif d’une époque où l’éloquence royale subissait déjà l’influence d’un changement épistémologique.
Powerless eloquence
This article uses the views of modern historians as well as the descriptions of royal eloquence transmitted by contemporaries of Henri III to explain why the last Renaissance king did not succeed in overthrowing the powerful rhetoric of the League. As well, it analyzes the reasons that prevented the use of the Louis XI model, transmitted by Commynes, proposed to Henri III and representative of an era when royal eloquence was already undergoing the influence of epistemological change.
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Luc Vaillancourt
Postures apologétiques dans la correspondance de Henri III
Cet article se propose d’expliciter les stratégies rhétoriques à l’œuvre dans la correspondance de Henri III, et notamment dans les lettres diplomatiques ou à destinataires multiples, d’ordinaire appelées à une circulation plus importante que les lettres personnelles, de manière à mettre en évidence une dimension, sinon propagandiste, du moins fortement apologétique, par laquelle le roi veille à consolider et à étendre son pouvoir. Henri désamorce les présomptions négatives entretenues à son sujet par la modulation systématique de son ethos, en fonction des circonstances et des personnes concernées. Cette modulation n’est pas aléatoire, machiavélique, ou le fruit d’une conduite désordonnée, mais correspond à l’idée que le souverain se fait de l’éloquence comme instrument de sujétion.
Apologetic stances in the correspondence of Henri III
This article aims to clarify the rhetorical strategies at work in the correspondence of Henri III — notably in the diplomatic letters or letters to multiple recipients, usually intended for broader circulation than the personal letters — so as to highlight an element, if not propagandist, at least strongly apologetic, by which the king sought to consolidate and expand his power. Henri forestalled the negative presumptions entertained in his regard via the systematic modulation of his ethos in function of the circumstances and persons concerned. This modulation is neither random, Machiavellian, nor the result of disordered conduct, but corresponds, rather, to the sovereign’s idea of eloquence as an instrument of subjection.
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Claude La Charité
Les Perroniana, les traductions de Cicéron par Jacques Davy Du Perron et la formation rhétorique de Henri III
Les Perroniana, ce recueil posthume de bons mots de Jacques Davy Du Perron, permettent de jeter un nouvel éclairage sur la formation oratoire que reçut Henri III à l’Académie du Palais en 1579. Ils montrent, entre autres, à quel point Du Perron était réfractaire aux traits et aux pointes si chers au roi. Estimant qu’il n’y a « rien de si contraire à l’éloquence », Du Perron n’honora sans doute jamais la commande de « mille traits » que lui fit le monarque. Tout indique au contraire qu’il traduisit le premier discours contre Verrès et la première lettre à Quintus comme un antidote au penchant de Henri III pour le trait et comme une matière à imitation destinée à lui faire goûter Cicéron et l’« infinité de belles choses » qu’il recèle.
Perroniana, Cicero’s translations by Jacques Davy Du Perron and the rhetorical training of Henri III
The Perroniana, the posthumous collection of bons mots by Jacques Davy Du Perron, sheds new light on the oratorical training received by Henri III at the Palace Academy in 1579. The work shows, among other things, the extent to which Du Perron resisted the quips and barbs so dear to the king. Judging that there was « nothing so contrary to eloquence », Du Perron doubtless never honoured the monarch’s command for « a thousand quips. » On the contrary, there is every indication that he translated the first discourse against Verres and the first letter to Quintus as an antidote to Henri III’s penchant for the quip and as a subject for imitation intended to have the king sample Cicero and the « infinity of beautiful things » contained in Cicero’s work.