La solidarité féminine au service de la sexualité dans les séries télévisées à chœur féminin (2010-2020)
Céline Morin
Les séries télévisées ont longtemps privilégié la figure de l’héroïne qui, dans son cheminement vers l’émancipation personnelle, devait vaincre les obstacles sexistes en mobilisant des ressources individuelles. Ce mouvement se double aujourd’hui d’une vague de séries que nous appelons « à chœur féminin », centrées sur des couples ou des groupes de femmes très solidaires. Cet article explore six de ces productions : Girls, Mom, Jane the Virgin, Crazy Ex-Girlfriend, Grace & Frankie et Sex Education. Dans ces séries, les personnages mettent leurs amitiés au service de forums intimes, où la solidarité féminine est mise au service de la sexualité individuelle, en ayant pour socle la reconnaissance des désirs et des pratiques. Cette perspective ouvre la voie à des innovations majeures de représentations, comme, entre autres, la diversification des corporalités représentées ou l’ouverture des âges de la sexualité, des adolescent·e·s aux personnes âgé·e·s.
Scripts sexuels et pratiques affectives lesbiennes dans The L Word
Sabrina Maiorano
L’impact de la série lesbienne The L Word (2004-2009) a été retentissant dans la culture populaire et au sein des communautés lesbiennes en termes de reconnaissance et de visibilité. Près de quinze ans plus tard, il importe de porter un regard critique sur la série, du fait des transformations politiques du mouvement LGBTQ+ et de la place grandissante des perspectives queer. Cet article propose d’analyser les scripts sexuels et de genre qui sont véhiculés dans la série (principalement dans la saison 1) à la lumière du concept de pratiques affectives. La sexualité lesbienne dans The L Word est traversée par de multiples rapports de pouvoir entre les personnages féminins (inégalités de race, d’âge, de classe et d’expérience sexuelle). La prise en compte des affects dans les scripts sexuels et les archétypes lesbiens dans The L Word donne à voir une représentation hétérogène mais lesbonormative de la sexualité lesbienne.
La queerisation du mythe de la succube : les scripts de la bisexualité dans Lost Girl
Julie Lavigne
L’article propose une analyse textuelle de la série fantastique canadienne Lost Girl (Showcase, 2010-2015) créée par Michelle Lovretta. En recourant aux théories féministes, aux études sur la bisexualité, ainsi qu’à la théorie des scripts sexuels, l’article se penche sur les transgressions représentées dans la série par rapport aux rôles souvent passifs des femmes dans les scripts hétérosexuels traditionnels. Les intrigues, dans Lost Girl, sont centrées sur le personnage de Bo Dennis, une succube bisexuelle qui pratique une sexualité multi-partenariale. Cette série innove en présentant ainsi une femme active, agentive et vivant une sexualité débordante et saine sans subir le slut shaming associé à ce type de transgression. L’analyse montre aussi que la bisexualité du personnage permet de transformer la figure patriarcale de la succube incarnant la peur masculine de la sexualité des femmes, en une figure héroïque, féministe, queer et antispéciste.
« I can’t control my body, and it does all these things. » Penser le potentiel de (dé)construction des normes de genre et de représentation du désir au féminin dans les séries pour adolescent·e·s de la télévision en ligne
Stéphany Boisvert
Cet article propose une analyse de plusieurs séries pour adolescent·e·s originales, distribuées sur Netflix ou Amazon Prime, afin de réfléchir au potentiel de (dé)construction des scripts sexuels et de la représentation de l’agentivité sexuelle des jeunes femmes à l’ère de la télévision en ligne. Le teen drama est reconnu comme un genre télévisuel promouvant habituellement des récits hétéronormatifs, où les références à des sexualités et désirs queer demeurent souvent implicites. Plus encore, les séries pour ados tendent à reproduire une vision de la passivité sexuelle des adolescentes. Or, nous constatons une mutation de ces tendances narratives dans plusieurs séries pour adolescent·e·s produites pour Netflix et Amazon, ce qui laisse présager une transformation des scripts sexuels et une volonté de subvertir les visions normatives habituellement promues concernant la sexualité féminine. Nous observons ainsi une tendance plus grande à la représentation de l’assertivité et de l’agentivité sexuelles des jeunes femmes. Cependant, les représentations demeurent influencées par certaines normes culturelles qui circonscrivent les récits, les scripts sexuels et la représentation des corps. Cet article vise donc à poser un regard critique sur les ambivalences propres aux nouveaux teen dramas.
Entre maladresse et authenticité : la recherche du plaisir dans Mrs. Fletcher
Marta Boni
Dans les nouvelles formes de sérialité télévisuelle se dégage une figure de personnages de femmes qui se trouvent en décalage avec la norme, grotesques, dissidentes : cet article propose de se pencher sur un personnage en particulier, la protagoniste de la série Mrs. Fletcher. Cette série de HBO, à cheval entre comédie et drame, met en scène la découverte de la pornographie par une femme de 45 ans, rôle joué par Kathryn Hahn. En analysant la représentation du désir et de la transgression présente dans cette série, nous aborderons l’idée d’un plaisir qui devient forme de connaissance et proposerons une piste de lecture de la sérialité contemporaine à l’aune de la maladresse et de l’authenticité.
La réappropriation de l’espace comme vecteur d’agentivité sexuelle dans She’s Gotta Have It de Spike Lee
Audrey Deveault
À travers l’étude du personnage de Nola Darling, l’article analyse la manière dont la première saison de la série télévisée She’s Gotta Have It (2017) politise les récits que font les femmes de leur sexualité et des violences sexuelles qu’elles subissent. Après une brève comparaison avec le film du même titre, paru en 1986, l’article met en évidence les transformations liées à l’agentivité sexuelle de Nola, qui se forme à la fois par la réappropriation de l’espace (privé/public) et par l’imbrication de son récit à celui d’autres femmes et, plus largement, d’autres habitants du quartier de Fort Greene. C’est, entre autres, par le biais de la pratique artistique de Nola que ces deux éléments deviennent possibles. En somme, l’article montre que le développement de l’agentivité sexuelle dans la série se fait de façon collective, qu’elle se crée à travers l’expérience d’une communauté.
« So many different types of sexual assault ». Violences sexuelles et consentement dans les séries télévisées
Anne Martine Parent
L’article porte sur la représentation des violences sexuelles et du consentement dans les séries télévisées contemporaines. Il présente d’abord une brève explication de la culture du viol pour ensuite montrer comment la série britannique I May Destroy You dénonce cette culture. L’article aborde ensuite l’opposition entre male gaze et female gaze en prenant comme exemple la série américaine Grand Army. Si le female gaze s’inscrit parfois dans le motif du Rape and Revenge présent au cinéma dans un film comme Thelma & Louise, on retrouve également ce motif dans certaines séries télévisées. C’est ce que l’article examine à partir de la série britannique Sex Education. Enfin, l’article propose de lire ce motif de la vengeance à l’aune de la notion de snap féministe, telle que théorisée par Sara Ahmed.