n° 117 / Nouvelles solidarités en littérature franco-canadienne

2018
Numéro préparé par Ariane Brun del Re (Université d’Ottawa), Pénélope Cormier (Université de Moncton) et Nicole Nolette (Université de Waterloo)

Table des matières

Liminaire
Ariane Brun del Re, Pénélope Cormier  et Nicole Nolette

Fonctionnements du festival littéraire dans les espaces culturels franco‑canadiens minoritaires
François Paré

Draw on me : bilinguisme minoritaire et relais littéraires franco‑canadiens
Catherine Leclerc

Un théâtre en trois D dans l’Ouest canadien
Nicole Nolette

Habiter en ville : la maison urbaine dans le roman franco-canadien
Ariane Brun del Re

Le mal de mère : solidarités féminines dans l’œuvre de Marguerite Andersen et Hélène Harbec
Benoit Doyon-Gosselin et Maria Cristina Greco

L’Autre asiatique chez Gabrielle Roy, Marguerite‑A. Primeau, J. R. Léveillé et Annie‑Claude Thériault
Pamela V. Sing

$12.00

Fonctionnements du festival littéraire dans les espaces culturels franco-canadiens minoritaires

François Paré

Dans cette étude, nous nous penchons sur le phénomène des festivals littéraires (à distinguer des salons du livre) depuis le milieu des années 1990 et leur mode de fonctionnement dans le cas des communautés francophones minoritaires au Canada. Après un bref aperçu de l’histoire du festival littéraire en Amérique du Nord, l’analyse se déplace vers deux événements festivaliers qui s’imposent au Canada francophone par leur impact, leur valeur symbolique et leur longévité relative : le Festival acadien de poésie (Caraquet, Nouveau-Brunswick) et Thin Air/Livres en fête (Winnipeg, Manitoba). Nous verrons que ces deux festivals oscillent entre un souci d’autonomie institutionnelle et linguistique et, faute de public suffisant, la nécessité de négocier une place, même marginale, dans la programmation des festivals littéraires canadiens-anglais. En dernier lieu, nous proposons une réflexion théorique sur la fonction identitaire du festival littéraire dans les cultures périphériques, à savoir celle d’affirmer par la mise en scène de la voix performative de l’écrivain la vitalité de la communauté minoritaire et d’assurer la transmission intergénérationnelle du patrimoine littéraire.

Draw on me : bilinguisme minoritaire et relais littéraires franco-canadiens

Catherine Leclerc

Après s’être atomisé à la suite de la nationalisation de la littérature québécoise, l’espace littéraire franco-canadien semble être en voie de se reconstituer, sur de nouvelles bases. Le présent article fait l’étude de ce phénomène à partir de deux traits que les littératures des minorités francophones du Canada ont en partage : le bilinguisme et la minorisation. Ces deux traits sont précisément ceux dont le Québec s’est délesté au moment où il se constituait en culture nationale. Aujourd’hui, pourtant, ils se voient octroyer une nouvelle valeur. Or, les transformations en cours dans l’espace littéraire franco-canadien et dans les idéologies linguistiques sur le contact du français avec l’anglais coïncident. Alors que le Québec s’était servi du bilinguisme minoritaire comme repoussoir, ce bilinguisme gagne à présent en statut, jusqu’à servir de modèle. S’ensuit un réaménagement des rapports hiérarchiques existant entre les divers espaces littéraires franco-canadiens, voire à l’intérieur de chacun d’eux, de même que des relais inédits des uns aux autres. Le présent article retrace ce réaménagement en se penchant sur certains textes franco-canadiens hétérolingues clés des dernières décennies, ainsi que sur leur réception.

Un théâtre en trois D dans l’Ouest canadien

Nicole Nolette

Dans cet article, Nicole Nolette explore le potentiel du concept de « différenciation solidaire » pour l’analyse intertextuelle entre les littératures francophones de l’Ontario et de l’Ouest canadien. Les grandes figures des « trois D » de l’Ontario français (Patrice Desbiens, Robert Dickson et Jean Marc Dalpé), rejetées par la génération de Louis Patrick Leroux, réapparaissent dans la dramaturgie de Marc Prescott au Manitoba et de Gilles Poulin-Denis, originaire de la Saskatchewan. Nicole Nolette identifie les traces des trois D dans la langue, la route, la ville minière et les animaux représentés par Prescott et Poulin-Denis pour montrer comment la solidarisation littéraire de l’Ouest et de l’Ontario francophones peut également signifier une différenciation régionale.

Habiter en ville : la maison urbaine dans le roman franco-canadien

Ariane Brun del Re

En 2011, Jean Morency relevait la récurrence d’une figure spatiale particulière dans les littératures de l’Acadie, de l’Ontario français et de l’Ouest francophone : la maison incendiée, qu’il rattachait au temps, à la mémoire et à l’histoire. Depuis, les écrivains franco-canadiens ont délaissé cette figure au profit d’un autre type de logis, la maison urbaine. C’est notamment le cas de Daniel Poliquin, Simone Chaput et France Daigle. Les maisons atypiques de La Côte de Sable (1990, sous le titre Visions de Jude), La belle ordure (2010) ainsi que Petites difficultés d’existence (2002) et sa suite Pour sûr (2011) ont en commun d’être des espaces peu propices à l’intimité car ils brouillent les frontières entre l’intérieur et l’extérieur. Point de rencontre pour les personnages, ces maisons occupent une telle place qu’elles éclipsent les villes mises en scène. La maison urbaine semble ainsi être le moyen par lequel les écrivains franco-canadiens sont parvenus à s’approprier la ville pour l’habiter. La récurrence de cette nouvelle figure spatiale de même que le passage de la maison incendiée à la maison urbaine laissent entendre que les écrivains franco-canadiens puisent à un imaginaire commun. La littérature franco-canadienne pourrait ainsi compter non seulement sur des fondations institutionnelles, mais imaginaires.

Le mal de mère : solidarités féminines dans l’œuvre de Marguerite Andersen et Hélène Harbec

Benoit Doyon-Gosselin et Maria Cristina Greco

Les œuvres de la Franco-Ontarienne Marguerite Andersen et de l’Acadienne Hélène Harbec, malgré leur importance quantitative et qualitative, ont été très peu étudiées par les chercheurs. Il faut dire que leurs textes de création s’inscrivent dans un contexte de forte décontextualisation et que leur point d’origine (l’Allemagne pour Andersen et le Québec pour Harbec) font d’elles des « étrangères » au sein de leur corpus national respectif, ceci expliquant peut-être cela. Pourtant, les œuvres d’Andersen et d’Harbec témoignent de thématiques semblables et de rapprochement formels évidents. À la suite des travaux de Lori Saint-Martin et de Béatrice Didier, cet article vise à étudier le rapport à la mère et à son propre rôle de mère des personnages-écrivaines et à examiner la manière dont ces rapports servent de moteur à la création. Les œuvres des deux auteures proposent une nouvelle solidarité entre femmes qui devient un modèle de vie. Nous voulons mettre en évidence la place problématique du rapport mère-enfant ainsi que les particularités d’une écriture de femmes qui se situent explicitement dans le sillage de la figure tutélaire de Virginia Woolf. Le corpus retenu est composé des œuvres suivantes : De mémoire de femme ([1982] 2002), Le cahier des absences et de la décision ([1991] 2009), L’orgueilleuse (1998) et La mauvaise mère (2013).

L’Autre asiatique chez Gabrielle Roy, Marguerite-A. Primeau, J. R. Léveillé et Annie-Claude Thériault

Pamela Sing

Les communautés franco-canadiennes reconnaissent, du moins sur le plan discursif, le besoin de former de nouvelles solidarités interculturelles et d’intégrer de nouveaux savoirs, de nouvelles perspectives et attitudes et de nouveaux goûts, mais on pourrait bien se poser la question de savoir quels Autres peuplent l’imaginaire de leurs artistes littéraires. Étant donné l’importance pour la littérature d’expression française au Canada de l’œuvre d’écrivains d’origine asiatique, dont, par exemple, Ying Chen, Kim Thúy, Ook Chung et Aki Shimazaki, cet article s’intéresse à l’Asiatique imaginaire chez des auteurs issus des francophonies à l’ouest du Québec. Dans le but de déterminer dans quelle mesure il serait possible d’inclure l’immigrant ou l’émigrant asiatique au chapitre des nouvelles solidarités imaginées au sein du Canada francophone, cet article interrogera quatre textes : « Où iras-tu Sam Lee Wong ? » de Gabrielle Roy, « Une veille de Noël » de Marguerite-A. Primeau, Le soleil du lac qui se couche de J.R. Léveillé et Quelque chose comme une odeur de printemps d’Annie-Claude Thériault.